Un écrivain ordinaire

27 février 2005

Un écrivain ordinaire, c'est un type qui écrit tous les jours, enfin, presque tous les jours, depuis des années, beaucoup, beaucoup d'années...

L'écrivain ordinaire, c'est celui qui ignore les gros tirages, et même les petits. Même les minuscules. Il ignore les tirages tout court, à part ceux faits en douce sur la photocopieuse du boulot. C'est un écrivain avec un "e" minuscule. Il ne joue pas dans la même catégorie que les Marc Lévy, les Michel Houellebecq, les Philippe Djian ou encore les Paulo Coelho, qui eux sont des Écrivains, des vrais. Loin de là : il a pourtant cru pendant des années aux beaux contes de fée modernes servis par les grands médias d'information. Il a pensé lui aussi pouvoir un jour dénicher la caverne d'Ali Baba. L'écrivain ordinaire, c'est un type qui a longtemps caressé le fol espoir d'être un jour édité par une maison d'édition connue, qui a toujours rêvé de faire carrière dans le monde des lettres, de vivre de sa plume, comme on dit.

L'écrivain ordinaire, c'est celui qui se dit finalement qu'il a à peu près autant de chances que ça lui arrive que de gagner au loto les six numéros plus le complémentaire (d'autant qu'il ne joue jamais).

L'écrivain ordinaire, c'est celui qui ne pourra jamais répondre à quelqu'un qui lui demande ce qu'il fait dans la vie : moi ? J'écris... Ma profession ? Ben, écrivain...

L'écrivain ordinaire, c'est celui qui écrira toute sa vie, sur des cahiers d'écolier, de jolis petits carnets qu'il rangera précieusement dans des tiroirs ou de vieilles malles secrètes, sur un traitement de texte dernier cri ou sur des blogs, espèces modernes de bouteilles jetées à la mer, et qui tout compte fait ne sera lu que par lui-même, ou, au mieux, par une petite poignée de personnes qui apprécieront quelques unes de ses pages.

L'écrivain ordinaire, c'est celui qui jette un coup d'oeil par la fenêtre et qui se dit que dehors il fait soleil et qu'il serait peut-être mieux en train de se promener plutôt que vissé sur sa chaise, enfermé et rivé sur son clavier d'ordinateur pour continuer à assembler des mots qui ne feront que s'ajouter aux autres sans jamais rien créer de décisif.

L'écrivain ordinaire, c'est un peu le peintre du dimanche, celui qui déploie sa toile devant un joli paysage et qui inspire quelques fugaces envies de la part des promeneurs qui se disent "Oh, il dessine bien le monsieur !" mais qui ne suscite que mépris de la part des professionnels de l'Art... Ou beaucoup de condescendance de ceux qui auront mérité, par on ne sait quel tour de passe-passe, le label d'Artiste...

L'écrivain ordinaire, c'est celui qui se fait engueuler par sa femme et ses enfants parce qu'il n'est jamais avec les autres, parce qu'il ne veut jamais rien faire comme tout le monde.

L'écrivain ordinaire, c'est celui qui rate une partie de sa vie parce qu'il est toujours en train de songer à ce qu'il va pouvoir écrire ensuite ou comment il aurait pu rendre ce moment que les autres se contentent tout simplement de vivre.

L'écrivain ordinaire, en somme, c'est celui qui paie cher au quotidien sa passion ou sa manie et qui, au final, lui rapporte plus de déboires que de satisfactions.

Mais, si on y réfléchit bien, il faut qu'il aime drôlement écrire, l'écrivain ordinaire, pour continuer...

Posté par Pierre Decriture à 14:26 - Commentaires […] - Permalien [#]