La maison, tome 3
C’est vers le 5 mai qu’on apprend que la solution proposée par l’agent immobilier a bien fonctionné : à peine relancée, la vente a été arrêtée par notre proposition d’achat. La signature de la promesse de vente aura lieu le 15 mai chez le notaire du Mesnil Saint Denis.
Le 15 mai 1996 était un jour pluvieux dans l’ouest de la région parisienne.
Même dans l’étude notariale, les héritiers qui vendent la maison arrivent encore à s’engueuler. C’est une affaire qui n’a que trop traîné, de conflits en conflits… Sinon, comment expliquer un prix aussi bas ? La signature définitive ne pourra pas avoir lieu avant le 5 novembre. C’est une mauvaise surprise : pourquoi si tard ? Parce que les locataires peuvent rester jusque-là, leur bail les y autorise… Il y a même une clause suspensive : si ces derniers n’ont pas quitté les lieux le premier novembre, l’on pourra décider de renoncer à notre achat sans perdre la somme versée lors de la promesse de vente…
Cela fait bien longtemps à attendre. Pour adoucir notre déception l’on nous confie une des clés de la maison en nous autorisant à y venir de temps en temps…
J’y retourne le soir même. Il pleut, le ciel est gris et triste. Le terrain devant la maison n’est plus qu’une forêt vierge impénétrable tellement les mauvaises herbes ont poussé depuis notre visite en mars. Je ne veux pas m’avouer que j’éprouve un sentiment de malaise grandissant, surtout quand je pénètre à l’intérieur, la petite clé dorée ayant ouvert la serrure rouillée de la vieille porte. C’est glacial, humide et sombre… L’escalier qui monte au premier étage, juste en face de moi, me semble représenter une menace… J’appuie sur l’interrupteur d’un modèle antique, mais l’électricité semble être coupée ; de toutes façons, il n’y a plus d’ampoule au plafond… je m’engage malgré tout dans l’escalier qui craque, décidant de passer outre mon appréhension et me trouvant vaguement ridicule.
Le premier, presque aussi sombre, tout aussi désert, qui sent le moisi et le renfermé, amplifie cette désagréable sensation qui me transperce le ventre, qui me serre la poitrine, qui me brûle le front. La grande chambre : le parquet fait un grand creux au milieu… Au point que le sol de la pièce ressemble à une piste de skate-board. Avec le soleil, le premier jour, cela ne m’avait pas vraiment inquiété, mais aujourd’hui…
Je redescends et je sors : j’en ai trop vu pour ce soir. Si je continue ainsi, je vais me démoraliser totalement. Je dois être fatigué, je prends tout de travers… Mieux vaut partir et ne plus y penser ! Enfin, essayer, tout au moins…
Le soir, revenu dans mon petit intérieur douillet, à Dampierre, je minimise lorsque Marie-Claude me demande comment j’ai trouvé la maison la deuxième fois :
— Oh, tu sais, c’est sûr, avec la pluie, c’est moins gai… Y’a du boulot, dis-je en haussant les épaules, mais ça, on le savait…
— Tu crois qu’on va s’en sortir ?
— Mais bien sûr qu’on va s’en sortir : c’est une affaire incroyable ! T’as bien vu ce que nous ont dit Michel et Jean-Claude…
— Le seul ennui, c’est qu’on n’a plus un sou pour les travaux…
— On y arrivera…
Je m’étonnais moi-même de ma confiance, de mon assurance, de mon optimisme. Ce n’était pas mon genre, habituellement ; c’était plutôt Marie-Claude qui tenait ce rôle-là dans notre couple à l’accoutumée. Et puis, une petite voix me susurrait :
« Tu pensais pas ça tout à l’heure quand t’as pénétré dans la maison…, Tu faisais moins le fier à ce moment-là… »