Miniature scolaire
C'est chez Taian Akita cette semaine et ça a comme un parfum de rentrée des classes...
On retrouve sa vieille classe, encore chaude du soleil d'août, qui sent le bois, la craie, la cire et le papier neuf, parce qu'on vient de ranger la commande de papeterie de rentrée.... Quelques mouches sèches sur les pupitres patinés par les coudes de générations d'écoliers, quelques toiles d'araignées au dessus de la porte...
Dehors, il pleut, l'une de ces pluies qui annoncent l'automne et qui va faire sortir les cèpes...
Ce matin, je les ai accueillis : je les connais déjà presque tous; ils étaient chez la collègue du CE2 l'année dernière... Et puis il y a les nouveaux, très peu en fait, ceux qui sont arrivés dans le village au cours de l'été...
On a commencé par les traditionnelles règles de la classe : "je dois toujours m'efforcer de faire de mon mieux, je dois lever la main pour demander la parole, on ne doit jamais parler quand quelqu'un a déjà commencé à parler..."
La sempiternelle litanie que l'on répète à chaque rentrée : ils ont l'air tellement convaincus, ces chers petits, du bien fondé de ces règles et de leur utilité, que, pour un peu, on y croirait... Ils ont l'air tellement dociles en ce jour de rentrée, tellement pleins de bonne volonté... On se prend à espérer que ce sera peut-être plus facile cette fois... Que la cuvée de cette année sera bonne, qu'elle ne nous causera pas trop de soucis...
On a distribué quelques cahiers avec leurs protège-cahiers de couleurs vives, quelques fournitures en insistant bien qu'il faudrait toujours avoir le matériel de base sur soi en ne croyant qu'à moitié à l'efficacité de ce qu'on est en train de dire mais enfin, il faut bien... On le sait que dans un mois, à chaque début d'activité, il y en a un ou deux, ou plus même qui s'écrieront d'un air désolé :
"- Maître, j'ai pas mon crayon à papier ! Monsieur, j'ai pas ma règle !"
On le sait mais ça fait partie du jeu... Il y a simplement des jours où on le prend moins bien que d'autres...
Et puis vient le moment où il va falloir rentrer dans le vif du sujet. Histoire de joindre l'utile à l'agréable, comme on a envie de se rendre compte comment ils écrivent, et pour faire une habile transition avec les vacances qui viennent de se terminer, (et avec lui le temps béni de l'été et des longues soirées d'insouciance, des baignades sous le soleil du midi, du petit vin de pays qui coule sous la treille), on lance le sujet traditionnel :
"Les enfants, vous allez me raconter votre meilleur souvenir de vacances !"
Avec un sourire bienveillant, on a parlé sur un ton enthousiaste, comme si toutes ces petites têtes blondes ou brunes n'attendaient que ça ! Après un silence consterné qui ne dure généralement pas très longtemps, les premières questions fusent :
"- Maître, j'suis pas parti en vacances !
- Monsieur, en juillet, j'étais avec ma mère et en août avec mon père, quel mois je dois choisir ?
- Et si j'ai plusieurs bons souvenirs ?
- Maître, je me suis emmerdé pendant toutes les vacances, j'ai vraiment rien à raconter...
Intérieurement, l'on se dit que c'est reparti comme en 14 mais comme c'est le premier jour, on répond avec une infinie patience à chaque enfantine objection...
Et, enfin, après bien des péripéties, arguties et autres astuces pour gagner du temps, ils se mettent enfin au boulot, avec un air appliqué, consciencieux, presque émouvant, qui ferait fondre des générations de pédagogues les plus endurcis... Leur concentration est étonnante : on entendrait une mouche voler. De nouveau les espoirs les plus fous reviennent nous hanter; et si ça durait au delà du mois d'octobre ce calme, cette application, ce visible désir de faire de son mieux ? Si pour une fois, une seule fois, j'avais l'impression que eux et moi, on veut bien aller dans la même direction ? Je me prends à rêvasser doucement, assis à mon bureau en train de les regarder rédiger de leur plus belle écriture...
Et puis, je me demande ce que j'écrirais, moi, si j'étais à leur place...
Le jour où on avait trouvé cette petite crique déserte au pied du Cabo Sardao, au Portugal, et où l'on avait joué à Robinson ?
Le soir où on avait pris le gros sar alors qu'on campait sur la plage de Béliche, toujours au Portugal ?
Non, ce qui serait marrant, ce serait de raconter le soir en Pologne, au mois d'août, où je cherchais un cybercafé pour envoyer de mes nouvelles à la famille. Dans cette petite ville à l'est de la Pologne, près de la Lituanie, il n'y avait pas grand monde dans les rues. Il faut dire qu'il avait plu assez violemment, et que, même si ça venait de se calmer, tout s'égouttait encore, terrasses de café désertes et trempées, stores alourdis par l'eau accumulée, chaussée luisante...
Je me suis garé sur une petite place et sur ma droite il y avait une enseigne "Internet", juste au dessus d'un grand panneau "solarium". C'était une petite boutique lumineuse qui avait l'air ouverte, décorée de couleurs vives où l'orange dominait. Je me suis avancé et dans le même temps, deux filles d'une vingtaine d'années, assez court vêtues, sont sorties sur le pas de porte. J'ai dit :
"-Internet ?"
Elles se sont regardées et ont éclaté de rire, un rire franc et malicieux...
Devant mon air d'incompréhension totale, l'une d'elle, avec encore un grand sourire dans la voix m'a dit :
"- Solarium here..."
Je leur montre le panneau "Internet"...
"Internet is closed... Here, solarium... You are french, no ?
-Yes, I am...
-In french, you say : bordel !"
Et elles sont reparties d'un immense éclat de rire. Et puis, l'une des deux s'est faite carrément aguichante :
"-Come with me... I love France... I love you..."
...
Ce soir-là, j'ai finalement trouvé un cybercafé où j'ai pu envoyer de mes nouvelles... Je reproduis ici le courriel que j'ai rédigé avec peine (déroutant un clavier d'ordinateur polonais...) :
data : wtorek, 17 sierpnia 2004
temat : de mes nouvelles
enfin trouve endroit pour envoyer courriel. Dernier mel envoye samedi a echoue. Pas d'accents, normal, y'en a pas en polonais. Eh oui, je suis en Pologne ! Rien n'est facile dans ce pays, mais ca vaut le coup au bout du compte de se taper quelques galeres. J'avais dit que j'irais ou le vent me porterait... Et il a bien souffle, vers l'est... Apres avoir dine a Bruxelles, j'ai bu a la sante des putains d'Amsterdam, d'Hambourg ou de Hannovre. J'ai vaincu les moulins de Hollande et crie "Solidarnoïsc" sur les chantiers navals de Gdansk... Si tout va bien, demain ou apres demain, je serai en Lituanie... En esperant que ce courriel arrivera cette fois, gros bisous a tous !