Les chiens nous dresseront
Il y a des fois où l’on a d'heureuses surprises, de très heureuses surprises…
J’avais reçu une invitation valable pour deux personnes à une pièce de théâtre, pièce intitulée...
...« Les chiens nous dresseront »…
Sur l’invitation, il n’y avait rien d’autre que le titre de la pièce, le nom de la compagnie, du metteur en scène et bien sûr les divers détails factuels nécessaires pour s’y rendre.
J’ai proposé à différentes personnes de m’accompagner. Lorsqu’ils me demandaient de quoi il s’agissait, je répondais que je n’en savais rien. Et c’était vrai : de quoi la pièce pouvait bien traiter, je n’en avais pas la moindre idée. Et le titre était des plus énigmatiques…
Il s’est trouvé que personne ne pouvait m’accompagner. C’était hier soir : tout le monde était pris, rentrait trop tard ou que sais-je encore… J’ai bien failli ne pas y aller, surtout que j’étais déjà sorti la veille, que je n’avais pas beaucoup dormi, que j’avais eu une après-midi riche mais fatigante… Bref, toutes les bonnes raisons pour renoncer… Et puis, au dernier moment, vers 20h00 (la pièce commençait à 20h30 à une vingtaine de kilomètres de chez moi), je me suis décidé à y aller seul malgré tout…
Je suis arrivé un peu en retard mais, par bonheur, la pièce n’était pas encore commencée. Et bonheur plus grand encore, j’ai trouvé une place au second rang, juste face à la scène, le genre de place idéale…
Mais je ne savais pas du tout encore ce que j’allais voir. Lorsque la pièce a débuté, lorsque les premiers acteurs sont entrés, je n’ai pas tout de suite compris. Je me perdais en conjectures… Un moment, j’ai cru que l’on allait traiter des chiens de garde et des voleurs, des voyous, à notre époque… Et puis, il y a eu une scène d’accouchement extraordinaire. J’ai compris alors que l’action se situait au moyen âge…
Et puis, à partir de là, tout s’est éclairé : l’enfant qui vint de naître, hideux, répudié par sa mère, c’est Bertrand Du Guesclin, celui qui des années plus tard sauvera le royaume de France. Tout s’enchaîne : la faiblesse du roi CharlesV, les complots, les batailles, les manœuvres des armées, les ruses… Quelle merveille ! Quel enchantement ! Seize acteurs sur scène, et pas un de plus, seize acteurs extraordinaires qui parviennent, par je ne sais par quel prodige, à nous faire croire qu’ils sont des milliers, et les épées et les écus s’entrechoquent devant nous comme si l’on se retrouvait plongé au cœur de l’action.
Les décors et les costumes sont très sobres mais splendides : c’est justement là qu’est toute la magie du théâtre… Il suffit de quelques tentures savamment disposées, d’une table en bois et de quelques rares accessoires pour tout suggérer. La mise en scène est une merveille d’inventivité et d’intuition. Les accompagnements musicaux sont subtils et délicats.
Mais ce n’est pas qu’une pièce d’action. C’est aussi une formidable réflexion sur la guerre : ainsi l’action est entrecoupée de lecture de textes de toutes époques sur la guerre et ces moments de respiration arrivent très intelligemment dans le déroulement de l’action.
La pièce se termine sur la mort de Du Guesclin, qui a refusé tous les honneurs et sur la fin du règne de Charles V qui, dégagé des soucis de la guerre, a pu se consacrer, comme il en rêvait, à l’enrichissement de l’esprit, notamment avec la création de la première librairie royale qui deviendra des siècles plus tard la Bibliothèque Nationale de France…
Cette pièce fantastique se jouera pendant un mois à Paris au théâtre de la Tempête (Cartoucherie de Vincennes) à partir du 21 avril. Allez-y, vous ne le regretterez pas !