L'usine à papillons (4)

Si vous avez manqué le début :

épisode 1

épisode 2

épisode 3

      Vers la fin du mois de novembre, on ne l’invita même plus aux réunions. De temps en temps, il voyait les autres qui travaillaient dans le même bureau que lui s’absenter et lorsqu’ils revenaient, certains avouaient d’un air gêné avoir participé à une mystérieuse réunion.
Au bout d’un moment, il n’osa plus rien demander. Il voyait bien que de plus en plus de choses se faisaient sans lui… Il y eut des tas d’expéditions organisées où il n’était même pas prévu. Plus les jours passaient, plus l’année avançait, moins il avait l’impression d’exister. Son malaise augmentait au fur et à mesure qu’il lui semblait devenir transparent. Après avoir croisé certaines personnes dans le grand couloir du rez-de-chaussée, il se pinçait parfois pour se convaincre qu’il avait une existence charnelle, tant son existence avait été si peu évidente dans les yeux de l’autre. Il se rendait compte qu’il devenait de plus en plus triste. Et puis, aussi, il était de moins en moins capable de savoir ce qu’il pensait, ce qu’il voulait. Il était en train de se dissoudre mentalement… Il repensait sans cesse à cette histoire qu’on lui avait racontée un jour :

dans une peuplade indigène, pour punir un membre de la communauté, on ne l’insultait pas, on ne le frappait pas, on ne l’humiliait pas… Enfin pas directement… Mais tous les autres membres de la tribu se comportaient comme s’il n’existait plus, comme s’il était invisible, inexistant, comme si sa présence n’était même plus palpable. Cela s’appelait le supplice de la mort blanche et c’était redoutable, parfaitement redoutable… Vraiment, une terrible punition...

      Mais lui, ce pauvre type, il se demandait sans cesse pour quelle faute mystérieuse on l’avait puni… Pour occuper son temps qui s’écoulait toujours bien trop lentement, il faisait des dizaines de dessins de papillons, sur de grandes feuilles blanches, et il tapissait tous les murs du bureau de ces coloriages aux couleurs chatoyantes.
Au moment où il sentit que la situation allait devenir intolérable, au moment où il sentit qu’il avait atteint les limites du supportable, il prit une grande décision. Et ce fut sans doute le fait d’avoir pris cette décision qui l’empêcha de commettre une grosse bêtise : il décida de redevenir papillon…

Note importante de l’éditeur : toute ressemblance avec des personnages ou des situations ayant réellement existé ne serait que purement fortuite.

Comments

[Jean-Pierre]

Tout à fait Douja ! Le papillon de l'espoir !

[Douja]

En voilà une sage décision !! Et tant pis pour les autres qui n'y comprennent rien.
Un papillon ar-en-ciel, n'est-ce-pas ? Un qui véhicule quelques grammes d'Espoir Magigue ;-)