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Pierre d'écriture
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28 novembre 2007

Dans une ville inconnue

Dès qu’elle fut partie, je fermai la porte à clé.

Pourquoi étais-je encore allé trop loin ? Pourquoi fallait-il toujours que je dise ce que je pense ?

          J’étais venu la rejoindre dans cette ville où elle avait une communication à faire dans un colloque qui durait deux jours, un colloque consacré aux nouvelles pratiques philosophiques. Cette ville, je n’y avais jamais mis les pieds avant aujourd’hui et si elle ne m’avait pas demandé de la rejoindre, je n’y serais sans doute jamais venu. Une fois de plus, à cause de mon foutu caractère, je me retrouvai seul, et dans une ville inconnue, par-dessus le marché, où je n’avais pas la moindre envie de faire du tourisme. Surtout avec cette bruine glaciale de fin novembre… J’avais loué à la dernière minute une chambre dans ce foutu hôtel près de la gare. J’avais longtemps pensé à nos retrouvailles. Une fête ! Ce devait être une fête ! Au début oui… On avait fait l’amour, très vite… On n’avait peut-être pas échangé dix mots… Et puis, c’est quand on avait commencé à parler, que tout s’était gâté… Enfin, surtout, l’élément déclencheur, ce fut lorsqu’elle me dit :
— Attends, je vais te montrer le dernier texte que j’ai écrit pour les Impromptus littéraires
Déjà, avant même d’avoir le texte sous les yeux, j’avais senti comme une vague menace, une indicible appréhension. Lorsque j’eus la feuille sous les yeux, je commençai à lire :
« Dès qu’elle fut partie, je fermais la porte à clé… »
Je m’arrêtai aussitôt et dis :
— Ce n’est pas possible !
— Comment ça, c’est pas possible ? Tu commences à peine à lire ???
— Non, mais, que le verbe « fermer » soit à l’imparfait…
— Qu’est-ce que tu me chantes ? Qui te dit que le verbe est à l’imparfait ?
— Ben, parce qu’il est écrit avec un « s » à la fin, tout simplement… S’il était au passé simple, comme il devrait être, en toute logique, le verbe « fermer » s’écrirait « fermai »…
— Non, mais tu te fous de ma gueule ou quoi ? Tu vas pas pinailler pour un putain de « s » ? Je rêve ou quoi ?
— Je n’y peux rien, si, dans la langue française, il y a si peu de différence, à la première personne du singulier, entre ces deux temps. Mais imagine que tu transposes à la deuxième personne… Là, ça te choquerait : « Dès qu’elle fut partie, tu fermais la porte au clé »… Tu vois bien que ça ne fonctionne pas !
— Je rêve ! Je rêve ! Monsieur se fait le défenseur de la langue française ! Monsieur se fait procureur, chevalier de l’orthographe ! Mais putain, toi-même, combien de fois m’as-tu dit que ce qui comptait vraiment, c’était le fond, pas la forme ! Qu’il y en avait ras le bol de cette culture élitiste qui en laissait tant sur le bord de la route !
— Sans doute, tu parles à un convaincu. Mais, là, c’est pas pareil… Ce n’est pas comme si tu avais oublié un « s » à « poules » quand il y en a plusieurs… Là, ce « s » oublié, il introduit une incohérence, une impossibilité, qui me gêne… Je n’y peux rien… C’est peut-être des restes de ma culture bourgeoise, je te l’accorde…
— Mais tu te rends compte que ça fait dix minutes qu’on parle pour un malheureux « s » et que t’as même pas lu mon texte !
Elle m’avait arraché la feuille des mains, s’était rhabillée, avait rassemblé ses affaires sans un mot et elle était sortie en claquant la porte…
J’étais décidément trop con… Incorrigiblement con…

Texte écrit pour... Devinez quoi !

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Commentaires
J
Merci pour tous tes commentaires !
O
Ayant enfin compris (sans l'aide de la machine que me laisse mariner !! grrr!! ) pourquoi mes messages n'étaient pas pris en compte, je peux (re)dire que le stress du colloque fait voir le S de travers.<br /> Tout va revenir à la normal après ;-) Sinon, ce serait dommage pour si peu.
J
Tant mieux, Pralinette : pour un week-end avec un (ou une) amoureux(euse), il vaut mieux oublier les textes et, peut-être aussi, la politique, et... la philo encore sans doute... Je ne veux pas dire que moins on parle, mieux ça vaut, mais, enfin, bon... !!! Ce pourrait être la morale de mon histoire.<br /> Eh oui, Bender, le fils, ça tient en effet à pas grand chose. J'ai toujours remarqué qu'en général les gens qui s'aiment s'engueulent pour des conneries ! <br /> Merci Tippie : tu sais que j'aime quand tu me parles comme ça !
T
Pétard, c'est fort. <br /> Très fort.
B
:) comme quoi ça tient à pas grand chose...
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