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Pierre d'écriture
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4 novembre 2016

La loi du travail (extrait N°3)

   Mes parents venaient d'acheter une résidence secondaire en Normandie, dans la Manche, près de Granville : à Kairon Plage, exactement, entre Jullouville Les Pins et Saint-Pair sur Mer. Je ne sais pas comment ils ont trouvé l'argent vu que ma mère se plaignait tout le temps qu'elle n'arrivait pas à boucler les fins de mois. Enfin, il faut bien préciser que ce n'était pas le grand luxe non plus, loin de là, très loin de là : c'était un bâtiment bas, à peine plus grand qu'un mobil-home, avec un toit en tôle ondulée, et pratiquement tout à refaire à l'intérieur. Mais c'était tout près de la mer. Certes on ne la voyait pas de notre cabane améliorée, mais elle était vraiment très proche. Nous y passâmes nos premières vacances l'été de mes seize ans, un été qui fut pour moi un véritable retour à la lumière.

   Les vacances étaient d'ailleurs presque terminées lorsque je réussis enfin à sortir avec une fille. J'étais enfin parvenu à franchir le pas ! Elle était en vacances aussi, elle s'appelait Cécile et elle avait mon âge. C'était une normande qui venait de Sainte-Adresse, près du Havre. Un soir, sur la plage, au clair de lune, j'avais réussi à vaincre ma timidité... D'abord, je lui avais pris la main, puis, m'enhardissant, je l'avais embrassée... Moi qui avais si peur d'être repoussé, comme j'avais été surpris par la fougue et la passion avec lesquelles elle m'avait rendu mon étreinte ! Comme tout cela avait été simple, au fond, si simple et si facile ! Puis on s'était allongé sur le sable, abrités par les dunes herbeuses, et on s'était embrassé en se caressant ; très vite, je lui avais dénudé la poitrine en faisant glisser son soutien-gorge sans le dégrafer... Ses seins étaient très blancs, un peu petits...

    Vers une heure du matin, on s'était finalement décidé à rentrer, saisis par le froid de la nuit, n'osant ni l'un ni l'autre aller jusqu'au bout de nos caresses ; mon sexe, tendu à éclater contre la toile de mon jean me faisait mal et la douleur du désir longtemps agacé et non assouvi irradiait dans mon ventre. Je frissonnais en la quittant mais j'étais si heureux ! J'avais la sensation d'avoir remporté une immense victoire. J'étais certain que tout allait marcher maintenant, qu'une nouvelle vie s'offrirait à moi, une nouvelle vie que je pourrais dévorer à pleines dents, en conquérant. Ce bloc de pierre qui m'avait retenu prisonnier si longtemps, pétrifié que j'étais dans l'angoisse de ma timidité et de mon inexpérience volait en éclats dans la soudaineté d'une explosion. Et la charge de dynamite avait été cette première fille qui avait accepté mes avances, qui venait de « sortir avec moi » ! C'était l'expression consacrée ! Enfin, j'étais sorti avec une fille ! Je lui devais une fière chandelle à cette représentante de l'espèce féminine qui m’attirait et me repoussait depuis si longtemps : elle avait opéré en moi une véritable résurrection... Bien sûr, elle me laissait un peu sur ma faim mais je ne lui en voulais pas : je sentais trop que sa peur de l'inconnu, sa passion exacerbée étaient à la mesure de nos inexpériences respectives, de nos fantasmes inassouvis et effrayants...

    Le lendemain, nous poussâmes un peu plus loin nos agaceries mutuelles et, après lui avoir longtemps caressé le sexe, la braguette dégrafée, je lui montrai comment caresser le mien. Elle le fit avec une certaine retenue au début, comme si elle touchait un objet interdit... Avec beaucoup de maladresse, aussi, et elle me faisait mal mais je jouis tout de même avec une rare violence. Je jouissais pour la première fois grâce à une autre main que la mienne : c'était si bon cette sensation de dépendre d'une autre volonté que la sienne et de pouvoir s'abandonner à la jouissance !

     Notre aventure ne dura que quelques jours puisque les vacances touchaient à leur fin. C'est souvent dans les derniers jours des vacances que se produisent les événements les plus inattendus et les plus espérés à la fois, que se passent les meilleures choses, celles auxquelles on n'osait même plus croire... On sentait déjà un avant goût d'automne à la nuit qui tombait plus tôt, plus froide et plus humide... Il allait falloir rentrer, elle au Havre, moi dans la région parisienne, pour la rentrée scolaire. Il fallait se dire au revoir, promettre de s'écrire, qu'on se reverrait aux prochaines vacances mais y croyait-on seulement ?

   Dès le premier jour de la rentrée, au lycée Lakanal, à Sceaux, je sentis très nettement que tout allait prendre une tournure très différente de ce que j'avais connu à La Poterne à Massy. Tout de suite, je me plus dans ces vieux murs qui avaient vu défiler des générations de potaches ; j'aimais l'ambiance de ce lycée qui, contrairement aux autres, n'était pas mixte. Il n'y avait que des garçons, comme si le temps s'était arrêté à la fin du dix-neuvième siècle... Pas de filles pour tester ma nouvelle assurance, ma toute nouvelle confiance en moi... Mais peu importait : avoir changé de lycée, c'était comme si j'avais changé de peau. Et je ne serais retourné à La Poterne pour rien au monde, même si là-bas, il y avait des filles comme dans la plupart des lycées de France des années soixante-dix ! Fréquenter un nouveau lieu, c'était très important pour moi car ici, personne ne m'avait connu tel que j'étais l'année précédente, si mal dans ma peau, si gauche, si emprunté, si timide, si triste... Peut-on changer vraiment quand rien ne change autour de vous ? J'avais laissé à La Poterne le garçon qui restait dans son coin, qui avait peur de tout, qui ne riait jamais avec les autres. Le nouveau, celui qui arrivait à Lakanal, je le découvrais avec ravissement, chaque jour avec un peu plus de plaisir. C'était un bonheur intense, qui n'était pas dénué non plus d'étonnement face à cette métamorphose aussi soudaine que radicale... Et puis, je n'étais plus le bébé de la classe : j'avais perdu mon année d'avance. J'étais plein d'assurance, je riais avec les autres, je me faisais des copains sans problème, j'avais la sensation d'être devenu populaire... Je n'étais plus celui qui compte pour du beurre, celui que l'on évite lorsqu'on a des affaires importantes à évoquer, qu'on tient toujours à l'écart lorsqu'il se prépare quelque chose d'important, qu'on regarde avec condescendance et une pointe de mépris. Si j'étais resté à La Poterne, ce personnage m'aurait, j'en suis certain, collé à la peau... Je ne me reconnaissais plus moi-même et cette sensation était terriblement fascinante. Comment une telle assurance pouvait-elle s'être épanouie en moi, juste après une petite amourette et quelques caresses sur une plage de Normandie ? Par quelle incroyable magie ou sorcellerie ce petit adolescent que personne ne remarquait s'était-il transformé à ce point-là ?

   Sur le plan scolaire, je ne tardai pas non plus à prendre la tête de la classe. Je me sentais fort aussi de ce côté-là, rayonnant d'une confiance brutalement retrouvée...Même en physique, ce qui était particulièrement surprenant compte-tenu du désastre de l'année précédente... J'obtenais les meilleures notes. C'était presque incompréhensible : tout redevenait clair, lumineux et j'avais l'impression d'avoir recouvré mon intelligence perdue... A tel point que je me disais que ma mère avait peut-être finalement bien eu raison d'insister à toute force pour que je m'oriente dans une filière scientifique, que les profs particuliers avaient raison quand ils prétendaient qu'un jour j'aurais le déclic, et que, tout compte fait, une véritable mutation s'était opérée en moi, jusque dans mes aptitudes et ma forme d'intelligence...

    Le manque d'argent et l'angoisse pour l'avenir, les fins de mois très difficiles revinrent au premier plan. Mon père adoptif était de nouveau au chômage mais, cette fois, il ne retrouvait pas une autre boîte dans laquelle se caser. C'était le marasme chez les constructeurs de maisons individuelles et il arrivait à un âge où il ne fait pas bon perdre son emploi. Il avait dix ans de plus que ma mère et il avait commencé à travailler tellement tardivement... Il avait beau avoir des relations, comme il disait, et qu'on ne pourrait pas le laisser sur le carreau bien longtemps, rien n'y faisait et les mois passaient et ma mère se désespérait. Elle commençait à ne plus rien vouloir croire, à ne plus rien vouloir espérer, à se dire que, peut-être, et tout compte fait, ses parents avaient bien raison de répéter, depuis des années, que Jean était un bon à rien et qu'il ferait toujours vivre dans le besoin son épouse, dans les difficultés matérielles incessantes... Et que cela n'aurait aucune chance de s'arranger vraiment durablement...

     Elle prit de plus en plus l'habitude de se confier à moi : son amertume lorsqu'elle évoquait la vie qu'elle avait mené depuis son premier mariage était immense, presque absolue. Elle avait été mariée avec deux hommes et le premier avait été trop faible pour assumer ses responsabilités, trop lâche, manquant de la force de caractère la plus élémentaire, et il l'avait lâchée juste après lui avoir fait un gosse, et le second, par contre, s'il dégageait une impression de force, lui, était trop volage, trop « je-m'en-foutiste »... Il l'avait bercée d'illusions mais il n'avait pas assuré mieux que le premier et pour des raisons totalement opposées : le premier prenait les choses trop à cœur et se faisait une montagne de tout, tandis que le second se fichait de tout et n'accordait réellement d'importance à rien. A part le tennis et les filles... C'était un coureur de jupons, qui faisait le joli-cœur à la moindre occasion et d'ailleurs, il avait sans doute dû la tromper à plusieurs reprises ! Elle ne savait pas tout et c'était sûrement mieux ainsi. Elle avait un enfant de chacun d'eux, et elle se retrouvait toujours seule pour les élever, avec le porte-monnaie toujours désespérément vide... Elle me disait invariablement :

« — Jean-Pierre, surtout, fais-toi une bonne situation, le manque d'argent, c'est terrible ! »

    Je me sentis à ce moment-là de nouveau très proche d'elle. Elle avait grand besoin de moi : j'étais celui qui pouvait suppléer aux défaillances des deux autres, elle n'avait plus que moi... J'avais changé, c'est vrai, j'avais mûri : ma barbe poussait et il me fallait me raser régulièrement, ma voix était devenue grave... Mes passions, mes envies, mes paroles étaient maintenant celles d'un adulte : j'étais presque un homme et elle me considérait d'un œil neuf. Je sentais parfois dans ses yeux, au beau milieu de sa détresse, une attirance physique, quasi charnelle. J'étais son Homme désormais, le seul sur qui elle pût compter. Elle avait envie que je la prenne dans mes bras, que je la protège à mon tour, mieux que n'avaient pu ou su le faire ses deux maris...

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