Un dimanche de 1958
Le 16 novembre, en 1958, c'était un dimanche...
J'avais sept mois...
J'étais avec ma mère, à Alès, dans les Cévennes, chez mes grand-parents maternels...
Mon père était à Fuveau, un petit village provençal près de Marseille, chez ses parents. Mon père et ma mère ne vivaient pas ensemble à l'époque : bien que mariés, ils vivaient encore chez leurs parents respectifs. Le rapprochement était prévu pour bientôt... Mon père, dans l'une de ses dernières lettres à ma mère, venait de lui annoncer qu'il venait de trouver une petite maison à louer près de l'endroit où il travaillait.
Ce dimanche-là, mon père s'était levé très tôt, bien avant l'aube. A cinq heures du matin, il avait tapé une courte lettre à la machine à écrire. Puis il n'avait adressé la parole à personne, ni dans la matinée, ni au cours du repas dominical. Depuis quelques temps, il était très renfermé...
Cet après-midi là, il y avait un match de rugby à la télé... Mon grand-père de Fuveau adorait regarder le sport dans cette petite boîte que seules quelques familles parmi les plus aisées possédaient à cette époque. Il en était fier, d'être l'un des premiers dans la commune à en avoir acheté une. Etait-ce un après-midi froid, au ciel lourd et gris, ou, au contraire, un après-midi roux dans les dernières douceurs de l'arrière saison ? Je ne sais pas...
Tout ce que je sais, c'est qu'au moment où la lumière déclinait, annonçant le précoce crépuscule de novembre, à quelques minutes de la fin du match de rugby, mon grand-père entendit une détonation qui venait du garage. Il se leva d'un bond de son fauteuil, traversa la petite cour, ouvrit la porte du garage, et trouva son fils, gisant à terre, dans une mare de sang, avec son fusil de chasse à côté de lui...
La lettre que mon père avait tapée le matin disait ceci :
"Il est cinq heures du matin, je n'ai plus que quelques heures à vivre. Ma décision est prise : je ne peux plus continuer. Je me sens incapable d'accomplir mon travail correctement... La vérité, c'est que je ne suis pas à la hauteur, et que je serai tout autant incapable de m'occuper correctement de ma famille...
Je sais qu'il n'y a aucune autre issue pour moi : aussi, je vous demande de me pardonner. Je laisse de l'argent à Jean-Pierre sur un compte à la caisse d'épargne.
Claude"