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Pierre d'écriture
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15 février 2006

Lettre ouverte aux universitaires

« L’époque est terriblement pauvre culturellement », se lamente le petit clan des universitaires désabusés.

Mais alors, comment expliquer ce paradoxe ?

Jamais, à aucune autre époque que ce soit, sous n’importe quelle autre latitude, jamais autant de jeunes n’ont passé autant de temps à l’université.
Dès lors, comment expliquez-vous, messieurs les universitaires, un tel gaspillage ?
Ces jeunes-là seraient-ils plus bêtes que leurs aînés ? Seraient-ils affublés de quelque tare génétique ? Auraient-ils été victimes de méthodes d’enseignement particulièrement désastreuses avant d’entrer à l’université ?
Je sais bien que cette dernière réponse vous brûle les lèvres mais sachez que c’est une constante depuis que le système éducatif existe :
Si les élèves sont nuls à l’université, c’est que les profs du lycée ont été en dessous de tout.
S’ils sont nuls au lycée, c’est parce que les profs du collège étaient minables.
S’ils sont nuls au collège, c’est parce que les instituteurs sont des incapables.
S’ils sont nuls à l’école élémentaire, c’est parce que les instits de maternelle sont des cruches.
S’ils sont nuls à l’école maternelle, c’est parce que les parents sont des moins que rien…
Autre constante : les élèves de la génération précédente étaient nettement meilleurs que ceux d’aujourd’hui…

Bon, examinons d’un peu plus près les choses :

Les jeunes d’aujourd’hui passent de nombreuses années à la fac et jamais (d’après vous) une époque n’a été aussi pauvre culturellement. On peut donc logiquement en déduire que vous avez aussi une part de responsabilité.

Vous semblez revenus de tout, vous ne croyez plus en rien. Vous me faites penser à des aristocrates déchus qui, au fond, ont pris conscience depuis fort longtemps que vos privilèges reposent sur des bases assez contestables, de plus en plus fragiles, de plus en plus ténues. Certains d’entre vous ont même réalisé qu’ils étaient obligés de fonctionner dans l’absurdité, de tourner à vide en quelque sorte, pour continuer à donner l’illusion d’exister.
Vous accréditez sans cesse la culture du spécialiste et chacun de vos exposés ne fait qu’accroître chez vos interlocuteurs ou vos étudiants un sentiment d’infériorité, d’inculture. Ainsi la plus anodine de vos formules en dit long : par exemple, « je passe très vite, tout le monde sait cela », alors, qu’en réalité, personne dans l’auditoire ne le savait…

Vous avez un véritable don pour donner le sentiment à vos auditeurs qu’ils sont stupides, qu’ils ne savent rien et qu’ils ne méritent guère d’ailleurs d’en savoir davantage. Bref, qu’ils sont en pleine impuissance, une impuissance constitutive, immanente, et qu’ils ne sont pas dignes de faire partie des héritiers.
On en revient aux aristocrates : on fait partie de la lignée des élus ou non ; c’est simplement une question de naissance.
Et vous arrivez ainsi à maintenir la pureté de la lignée au prix d’une immense hypocrisie. En pratiquant le découragement actif chez vos élèves. Seuls les mieux armés culturellement, les héritiers de la noblesse intellectuelle, de l’aristocratie des élites, seuls ceux-là peuvent résister à votre intense laminage. Les autres renoncent. Ils se convainquent alors que la vraie littérature, ce n’est pas pour eux et ils liront, avec un sentiment de culpabilité accru les seuls romans qu’ils sont capables de comprendre, ceux qui d’après vous ne méritent même pas l’appellation de roman, ceux que vous qualifiez de bluette de plage, de littérature de kiosque, commerciale, de fabrique à best-sellers…
Chaque fois que vous, seigneurs de l’esprit, encenserez un artiste ou un écrivain, faites en sorte, assurez-vous et soyez bien certain que le « populaire » n’y comprendra rien : ainsi vous maintiendrez votre pouvoir en renforçant chez le petit peuple l’idée que tout ça, c’est pas pour lui…
Les gens, ceux qu’ils aiment vraiment, ils n’osent plus l’avouer : ça fait tellement ringard !

Vous ne vous privez d’ailleurs pas de leur dire :
« — Mais aujourd’hui, mon cher, c’est totalement dépassé de déposer des couleurs sur une toile !
— Vous avez envie de peindre ?
— Vous avez envie d’écrire ?  Pourquoi pas si c’est à titre d’ergothérapie ! Tant mieux si cela vous soulage ! Mais surtout, ne prétendez pas apporter votre pierre à l’édifice pictural ou littéraire : cela vous dépasse tellement ! N’essayez pas de jouer dans la cour des grands !
— Vous prétendez faire de la philosophie parce que vous réfléchissez sur des thèmes soi-disant universels alors que ce ne sont, en réalité, que des questions triviales, somme toute assez banales ?
— Mais, mon pauvre ami, si vous avez l’impression de découvrir tant de choses, c’est tout simplement parce que votre inculture est sans limites. Et, soyez certain que ce que vous nous présentez comme de brillantes innovations ne sont, en fait, qu’une accumulation de banalités éculées. »

       Livré à ce genre de discours de l’élite, le populaire du tiers-état n’osera plus jamais prétendre à penser, écrire,  peindre, créer, ou lire intelligemment, ou encore écouter autre chose que des chansonnettes à la mode : il deviendra un pur produit de la société de consommation et il regardera TF1, livrant, consentant, son cerveau disponible à Monsieur Lelay (actuel PDG de la chaîne), à Coca-Cola  et à toutes les agences de pub de la planète.
Le populaire ne s’autorisera plus à penser ou à agir par lui-même.
Il deviendra un spectateur.
Un spectateur de la pensée des autres, de la création des autres, de la vie des autres.
Puis il deviendra un téléspectateur.
Et puis un spectateur de sa propre vie.

Alors, les universitaires lettrés, érudits, les héritiers, les aristocrates pourront continuer à déplorer l’indigence culturelle de notre époque…

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Commentaires
F
tampis
J
francis, je n'ai rien compris...<br /> C'est formidable Alecska, surtout si tu arrives à les lire et à les apprécier : j'avoue que, pour ma part, il y a énormément d'oeuvres dites "classiques" dans lesquelles je n'arrive plus à entrer tant elles me rappellent les "ergotages" scolaires...<br /> Oui, Lobita, c'est vrai que l'école c'est actuellement, sans doute, ce que je connais le mieux ! Je crois bien que ton ex avait mille fois raison sur ce point mais le système actuel ne favorise pas du tout les parcours qui ne sont pas effectués d'une traîte.<br /> C'est exactement ça, Shakti, si l'on résume et tu l'as très bien fait. Je t'embrasse aussi.<br /> Tout à fait, Obni, tant qu'ils font des études, ils n'entrent pas sur le marché du travail qui, pour sa part, n'offre pas 8O % de postes de cadres. C'est là que réside la supercherie, d'ailleurs récemment mise en lumière par la sociologue Marie Duru-Bellat, qui s'interroge dans son dernier ouvrage sur l'inflation de diplômes de ces dernières années...
O
Les gouvernements n'ont-ils pas intérêt à produire 80% de bacheliers pour une classe d'âge ? C'est pour eux, un moyen de lutte contre le chômage. Le bac en poche, beaucoup de jeunes gens s'essayent sur des cursus universitaires, mais sans grande illusion.
S
avec mes pauvres mots: on empêche tout jeune qui ose prendre quelque initiative de faire non seuleument du néo mais carrément "du pseudo";<br /> <br /> Je me trompe peut être, et tu me le diras que tout jeune qui approche l'art, que ce soit écriture, musique, peinture, est considéré comme fuyant la réalité. Réalité qui n'est autre que collection de diplomes. <br /> <br /> Une vieille restée un peu trop jeune idéaliste et naïve ;-) <br /> <br /> Je t'embrasse Jean-Pierre
L
tu sembles bien connaître l'école... ;-) Mon ex-mari a eu une fois une boutade: "ça devrait être interdit d'entreprendre des études supérieures à vingt ans". C'est mon ex d'accord, mais il ne dit pas que des bêtises. Cet après-midi je me suis trouvée à répondre à une jeune femme qui m'a demandé conseil, qu'elle arrête de perdre son temps dans des salles de cours, qu'elle se lance dans la vie pratique et expérimente un maximum de choses, après elle choisira une formation en fonction de ses expériences et de ce qu'elle veut réellement faire. Je crois que je donnerais le même conseil à tous les jeunes!
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