Les professeurs de désespoir
C'est le dernier bouquin que j'ai lu : et à sa lecture, on comprend beaucoup de choses; pourquoi le monde intellectuel et artistique, en Europe, est-il englué depuis un bon siècle et demi dans le pessimisme le plus noir, le plus désespéré ? C'est dû sans aucun doute à l'influence énorme de ces "professeurs de désespoir" qu'évoque Nancy Huston dans son étude formidablement bien documentée, claire, explicite et très facile à aborder.
Le premier de ces professeurs de désespoir, celui qui montra la voie et qui eut par la suite une multitude de disciples, ce fut le célèbre philosophe Arthur Shopenhauer : c'est le père spirituel de tous les néantistes à venir. Sa philosophie conduit à plusieurs constats terribles et sans appel :
L'homme ne peut être que malheureux et la vie n'est qu'une longue souffrance; il est foncièrement coupable de par sa seule existence et aucun espoir d'aucune sorte ne peut soulager sa douleur d'exister. Le mieux à faire, sans doute, serait le suicide immédiat mais l'homme est trop lâche la plupart du temps pour s'y résoudre...
Au moins, s'il ne se supprime pas, qu'il n'engendre pas de descendance ! Car la satisfaction de l'instinct sexuel, qui fait partie du "vouloir de l'Espèce", condamne irrémédiablement à la perpétuation de la souffrance... Il recommande donc de trancher tous les liens, et en particulier le lien amoureux...
C'est noir, très noir, et pourtant, Nancy Huston montre qu'aucun philosophe n'a eu autant d'influence sur la vie intellectuelle et artistique en Europe depuis la fin du dix-neuvième siècle.
Parmi ses héritiers qui ont également eu une influence prépondérante sur "l'intelligentsia", il y a eu Samuel Beckett, Emil Cioran, Thomas Bernhard, Milan Kundera et, plus proche de nous, Michel Houellebecq. Nancy Huston montre que dans les biographies de tous ces professeurs de désespoir, on relève d'étranges similitudes : la perte du père, l'arrachement à un milieu d'origine, la haine de la féminité, de la maternité, le néant dans leurs relation aux autres...
Depuis plus d'un siècle, rechercher le bonheur, c'est un peu niais pour les "vrais" intellectuels, les créateurs et artistes labellisés... C'est bien dommage !
Sans tomber dans l'extrême inverse, ce qui serait encore peut-être plus insupportable, il faudrait sans doute examiner les choses avec un peu plus de nuances :
Tout n'est pas tout blanc, ni tout rose, mais tout n'est pas tout noir non plus...
La vie est un mélange.