Maisons d'écrivains suite
Ce matin, visite de la maison d'Aragon et Elsa Triolet, à Saint-Arnoult en Yvelines.
Cette maison, Aragon, l'a achetée en 1951 pour offrir "un petit coin de terre de France" à Elsa, sa compagne d'origine russe.
Une visite particulièrement émouvante parce que l'on dirait que le couple était encore hier dans la maison. Près de la chambre à coucher, il y a une cravate d'Aragon qui traîne, ses objets familiers sur son bureau, sur le manteau de la cheminée un paquet de tabac gris, le tabac que l'on donnait aux soldats pendant la guerre 14-18, paquet qu'il a toute sa vie conservé en souvenir de sa période militaire.
Cette maison est un ancien moulin et le salon dans lequel ils recevaient leurs amis donne directement sur la chute d'eau qui faisait tourner la roue. C'est assez bruyant quand la vanne est ouverte... Mais il y avait possibilité de la fermer pour réduire le courant et ainsi supprimer le bruit. On raconte que lorsque Aragon et Elsa recevaient et que la soirée traînait un peu en longueur, Aragon se levait discrètement et allait ouvrir la vanne...
Près de leur chambre, il y a un calendrier, l'un de ces calendriers où, pour chaque jour qui passe, il faut enlever un petit feuillet. Le feuillet qui est resté est celui du mardi 16 juin 1970, jour de la mort d'Elsa.
L'histoire familiale d'Aragon est incroyable : son père, Louis Andrieu, est un homme politique assez influent, avec de nombreuses maîtresses. L'une d'elle, Marguerite Toucas, tombe enceinte à 24 ans. Elle part dans le midi pour dissimuler sa grossesse. Lorsque le bébé indésirable naît, elle l'envoie en nourrice en Bretagne. Puis elle retourne à Paris et réintègre sa famille. Le bébé est récupéré treize mois après et la famille invente une histoire pour justifier son apparition : c'est soi-disant le bébé d'un couple d'amis qui vient de se séparer que la famille a recueilli et c'est la grand-mère du bébé, la mère de Marguerite, qui devient sa mère adoptive, tandis que Marguerite devient sa soeur. Le père qui ne veut pas le reconnaître officiellement, mais qui le reconnaît tout de même sans vouloir le reconnaître tout à fait exige qu'il s'appelle Louis, comme lui, et Aragon, parce qu'il avait été un moment diplomate en Espagne. Ainsi, leurs initiales, L.A. étaient identiques. Et il se fait passer pour son parrain.
Le plus extraordinaire, c'est que Louis Aragon apprend la vérité sur le quai de la gare de l'Est, alors qu'il vient d'être mobilisé et doit partir au front. Celle qu'il croyait être sa soeur lui avoue qu'en fait elle est sa mère. On imagine le choc !
Ce secret, Aragon l'a gardé jusqu'en 1942, jusqu'à la mort de Marguerite...
Quand ce fut une chose acquise
Et qu'il devint bien évident
Qu'ils allaient ouvrir la valise
Et voir ce qui était dedans
Il t'a suffi pour tout me dire
Ce qu'on ne s'était jamais dit
Ce qu'on ne rêve pas d'écrire
Ce que le coeur en vain mendie
Tous les mots qui jamais ne viennent
Les mots qu'on remet à demain
De serrer ma main dans la tienne
Longuement simplement ma main
Louis Aragon (Le roman inachevé)