Le sourire de la Joconde
Eh merde ! Encore un groupe de japonais ! Alors eux, je peux plus les voir ! D’ailleurs, ils me regardent à peine… S’ils sont là, c’est parce que, dans leurs putains de guides touristiques, on leur fait croire que s’ils ne m’ont pas vue, ils ont rien vu ! Ah les cons ! Et quand ils reviendront chez eux, ils diront : « Ah ! Quel sourire ! » Pour dire qu’ils m’ont vue et ils essaieront de se souvenir de deux ou trois phrases de leur bible moderne…
Mais c’est pas encore eux qui m’énervent le plus. Non… Ceux qui m’agacent, ceux qui m’horripilent littéralement, ce sont ces bandes d’intellos, qui viennent s’extasier devant moi en récitant eux aussi des discours convenus et en poussant à tout bout de champ des « Oh ! Comme c’est aaaaaaaadmirable ! Ce sourire qui a traversé les siècles… » Le genre lecteur de Télérama, vous savez, qui adore le ciné-club à la télé, les films d’Eisenstein, le cinéma coréen d’avant-garde… Le genre qui consomme de l’expo au Grand Palais comme on consomme des biscottes chez Carrefour… Le genre qui s‘extasie devant un truc parce qu’il y a eu des bonnes critiques dans les papiers pour l’élite des bons milieux, ceux où l’on s’imagine penser… Ceux qui détestent les trucs « populaires »… Ceux qui ont perdu l’habitude depuis longtemps de penser vraiment. Ils sont capables d’aller faire la queue trois heures sous la pluie et payer une fortune pour entrer dans une expo dont on a beaucoup parlé, mais ils n’iront pas à la salle des fêtes de leur village où il y a une expo de peinture gratuite, entrée libre et où il y a sûrement des talents aussi… Le problème, c’est que de ces talents-là, personne n’en a pas parlé ! De tout, il faut qu’on ait parlé ! On en parle ! L’expression qui tue ! Bandes de moutons, quand allez-vous donc vous décider à penser par vous-même !
Ah tiens ! Un groupe de scolaires… Devant y’a la maîtresse, qui raconte les conneries habituelles qu’on débite sur mon compte… Juste derrière, les petites filles à lunettes, et puis ceux qui ont une tronche de premier de la classe, les fayots… Oh, tout là-bas, derrière, y’en a un qui a une tête d’ange… Tout de suite, ça se voit : c’est le gosse qui est jamais là où on l’attend… Le gamin qui n’a jamais fait son devoir de maths, qui n’a jamais appris sa récitation… Il est trop mignon… Il ressemble à Léonard…
Texte écrit pour les Impromptus littéraires...